J. Genechesi u.a. (Hrsg): Le Musée cantonal 1818-2018

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Titel
Le Musée cantonal 1818-2018. Histoires et enjeux des musées encyclopédiques


Autor(en)
Genechesi, Julia; Kaenel, Philippe; Meuwly; Olivier; Pernet, Lionel; Vallotton, François
Erschienen
Lausanne 2021: Bibliothèque historique vaudoise
Anzahl Seiten
202 p.
von
Gilbert Coutaz

S’il faut se convaincre que les institutions patrimoniales ne sont pas statiques et qu’elles doivent leur rayonnement à leur évolution permanente, il suffit de prendre connaissance du parcours du Musée cantonal depuis sa création en 1818. Premier maillon muséal du nouveau canton de Vaud dont il participe de l’identité, il appartient à la grande famille des musées encyclopédiques, en vogue au XIXe siècle. Par les changements réguliers de ses appellations, il reflète le démantèlement et l’indépendance de ses entités d’origine; il s’adapte aux attentes des autorités et du public, évolue dans ses pratiques professionnelles et dans ses modes de communication. Aujourd’hui, il continue à témoigner sur ses diverses constructions intellectuelles et rend hommage à cette matrice des musées cantonaux.

Au-delà de commémorer le bicentenaire d’une naissance, l’objectif des promoteurs de la publication est de tirer les enseignements du passé pour bâtir l’avenir muséal du Palais de Rumine, amputé depuis 1967 du Musée et jardins botaniques, et dès 2019 du Musée des beaux-arts.

Balançant entre ces deux bornes temporelles, l’ouvrage reprend l’essentiel des communications du colloque international tenu les 14 et 15 novembre 2018, à Lausanne. Il est construit sur quatre parties, solidaires et complémentaires, signées par une vingtaine d’auteurs (Le Musée cantonal pp. 15-51 ; Le contexte politique et intellectuel vaudois ; pp. 53-131 ; Contrepoints neuchâtelois et lyonnais, pp. 133-151 ; Table ronde : Musées encyclopédiques, du local au global pp. 153-168). Une riche illustration, un appendice sur le personnel dirigeant de différents musées et cabinets (1818-1978) et le cadre législatif (1848-1905), ainsi que la Chronologie comparée (1547-1906) et un index des noms de personnes rehaussent la qualité du livre.

Dans les faits, le Musée cantonal n’a existé dans sa forme initiale qu’entre 1818 et 1841, date où le Musée des beaux-arts s’émancipe pour vivre son indépendance dans un nouveau bâtiment offert par son mécène et son premier conservateur, Marc-Louis Arlaud (1772-1845), suivie en 1852 par la création du Musée des antiquités et le regroupement sous le nom de « Musée des sciences naturelles » de la botanique ; de la géologie et de la paléontologie ; de la minéralogie et de la pétrographie ; de l’anatomie comparée ; de la zoologie et de l’ethnographie. À leur tour, ces secteurs vont progressivement gagner leur autonomie.

La première partie se limite à décrire par l’intermédiaire des inventaires et des catalogues cette période marquée par la direction bicéphale et bénévole de Daniel-Alexandre Chavannes (1765-1846) et de Charles Lardy (1780-1858), deux naturalistes, qui doivent compenser le manque de moyens financiers de l’État par les donations de citoyens fortunés et cultivés, dont plusieurs concernent des objets achetés lors de voyages à l’étranger. À la fin de l’année 1822, les vestiges archéologiques formés de médailles et d’artefacts sont modestes ; leur importance va s’enrichir des travaux de fouilles entrepris sur l’initiative privée et de collections personnelles dont la plus homogène est celle du médecin veveysan Louis Levade (1748-1839). La minéralogie est l’élément dominant des collections et dispose d’une quinzaine d’inventaires, à la différence des domaines des règnes animal et végétal qui en sont dépourvus ou desservis par leur aspect lacunaire. Le registre des entrées des années 1829 à 1836 est en fait un « inventaire-minute », sans numéro d’inventaire.

Inspiré du Muséum central français qui symbolise la Nation révolutionnaire, le Musée cantonal est porté par l’élan patriotique et l’affirmation de la souveraineté du nouveau canton. Il s’agit pour les autorités d’élaborer une histoire cantonale qui la distingue de celle de ses voisins et la distancie de la présence bernoise durant deux-cent-soixante-deux ans. Son projet date des premiers jours du canton ; sa formulation est due à la Société d’émulation, fondée justement en 1803, et qui s’inscrit dans l’héritage direct de la Société des sciences physiques de Lausanne (1783-1790).

La deuxième partie de l’ouvrage emprunte des éléments de contextualisation politique et intellectuelle pour situer le développement des institutions muséales nées de la réorganisation du Musée cantonal, à partir du milieu du XIXe siècle1.

Ainsi, l’ouverture en 1862 du premier musée de ce type en Suisse, le Musée industriel, à Lausanne, relève de la philanthropie de la princesse russe Catherine de Rumine (1818-1867) et des compétences du précepteur de son fils, Théophile Gaudin (1822-1866), botaniste et paléontologue. Elle n’a bénéficié d’aucune aide financière des autorités cantonales et lausannoises. De vocation encyclopédique, le nouveau musée est conçu en porte à faux avec la vocation traditionnellement tournée vers l’enseignement professionnel ; il ne possède ni bibliothèque ni bureau de renseignement industriel. Connaissant un rapide succès à son inauguration, ils « sont pour notre Université les compléments obligés contenant le matériel de démonstration nécessaire à l’enseignement ». Les missions patrimoniales et d’instruction publique sont absentes de la réflexion, alors qu’elles accaparent une partie du temps des conservateurs. Le profil se ressent de cette conception, à la fois spécialisé (les postes sont occupés par des personnes formées à leur fonction) et « académisé » (nomination au poste de conservateur de professeur enseignant à l’Université). De plus, l’organisation des entités muséales reproduit les chaires d’enseignement.

Le parti radical étend son pouvoir politique hégémonique sur l’ensemble du canton durant la seconde moitié du XIXe siècle. Il tire « sa légitimité » de la révolution du 15 février 1845 qui a vidé l’Académie de Lausanne de ses élites libérales, fracturé durablement l’Église réformée et affaibli l’instruction publique. Deux figures, proches du pouvoir majoritaire : Rodolphe Blanchet (1807-1864), conservateur du Médaillier cantonal et du Cabinet botanique, entre 1845 et 1864, et Émile Bonjour (1862-1941), directeur du Musée des beaux-arts, entre 1894 et 1935, représentent le rapport des radicaux avec la culture, au service de l’édification du public ; leur nomination marque la fin des ambitions universelles du Musée cantonal. À l’instar de ses consoeurs suisse et cantonales, la Société d’Histoire de la Suisse Romande, fondée par des personnalités libérales, le 6 septembre 1837, se chargera de la connaissance et de la recherche historiques, à défaut d’une chaire académique à la hauteur de cette ambition, en évitant les thèmes d’actualité et en portant ses choix sur la période médiévale et sur l’édition de textes, ce qui n’empêcha pas Henri Druey (1799-1855) de dénoncer l’engouement des sociétaires pour l’époque savoyarde. Olivier Meuwly aurait dû dans ses lignes rappeler l’existence de cette société, d’autant que les deux personnalités qu’il invoque en sont membres, depuis le 24 mai 1843 et le 9 juin 1893, et que l’État radical continuera à la soutenir financièrement. Dans un environnement à première vue hostile, les intérêts scientifiques et l’érudition, certes canalisés, ont permis de prendre le pas sur les accointances politiques et de forger les prémices de l’histoire vaudoise2.

Enfin, le dernier point de la contextualisation se rapporte à la filiation entre les objets conservés par le Cabinet de l’Académie et ceux recueillis par le Musée cantonal. En fait, les artefacts étaient peu nombreux ; la connaissance des « antiquaires philologues » était puisée prioritairement dans l’exploitation de l’imposante bibliothèque dont le responsable, le professeur de théologie, Alexandre-César Chavannes (1731-1800), dans la grande tradition humaniste, dresse le catalogue systématique en 1779. Son plan de classement reflète alors la hiérarchisation des savoirs, débutant par la Bible et les savoirs théologiques auxquels sont subordonnés tous les autres domaines. Edward Gibbon (1737-1794), le grand historien britannique qui a bénéficié des services de l’Académie, et Alexandre-César Chavannes sont les représentants de cette érudition livresque, partagée sporadiquement avec les traces matérielles.

Toujours dans le but de trouver des points de comparaison avec le Musée cantonal au fil de ses développements, deux « contrepoints » sont proposés. Le premier est emprunté au Musée d’art et d’histoire de la ville de Neuchâtel, qui abrite de riches collections dans les arts plastiques, l’histoire, les arts appliqués et la numismatique. Le modèle encyclopédique qui est le sien aujourd’hui a connu des reconfigurations majeures depuis sa création au milieu des années 1880. Le second exemple est illustré par le Musée lyonnais des Confluences. Son statut relève de l’histoire naturelle, de l’histoire des sciences et de la découverte des cultures et des civilisations à l’échelle du monde. Les collections qu’il conserve, constituées depuis le XVIIe siècle, remontent jusqu’aux premières ères géologiques et climatiques et sillonnent les géographies de la planète.

En organisant pour la première fois depuis leur regroupement en 1906 au Palais de Rumine une exposition commune, COSMOS, les quatre musées (des médailles, d’archéologie et d’histoire, de géologie et de zoologie) se sont positionnés sur leur futur. Comment concilier les contraintes de la conservation patrimoniale imposée par la loi et l’ouverture vers l’universel, comment faire du « glocal » (contraction du global et du local) ? Sans porter atteinte aux spécificités de chaque musée (entre temps, le Médaillier cantonal a été absorbé par le Musée cantonal d’archéologie et d’histoire), faut-il revenir à des lectures croisées, de différents niveaux ? La table ronde a permis de poser les premiers jalons, voire les premières certitudes étayées par des réussites avérées et commentées par les intervenants.

À l’évidence, l’avenir et la solidité du pôle muséal du Palais de Rumine passeront par la collaboration de ses locataires.

Plutôt que de confluence, il vaut mieux selon nous prétendre à des convergences, à la transversalité des thèmes et au décloisonnement des pratiques professionnelles.

Notes:
1 Marie-Noëlle Altermath, Étude prosopographique de la Chambre administrative vaudoise, 1798-1803, Lausanne : Faculté des Elle aurait dû rappeler, même brièvement, le nombre impressionnant de pages d’histoire, sous forme de publications de sources, de dictionnaires et de monographies cantonales qui caractérisent les cinquante premières années de l’existence du canton.
2 Gilbert Coutaz, Jean-Daniel Morerod (collab.), « Les débuts de la Société d’Histoire de la Suisse Romande (1837-1855) : contribution à l’historiographie du Canton de Vaud », in Équinoxe, 10, 1993, pp. 23-43.

Zitierweise:
Coutaz, Gilbert: Rezension zu: Genechesi, Julia; Kaenel, Philippe; Meuwly; Olivier; Pernet, Lionel; et Vallotton, François (éds): Le Musée cantonal 1818-2018. Histoires et enjeux des musées encyclopédiques, Lausanne : Bibliothèque historique vaudoise, (BHV 150), 2021. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 203-206.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 203-206.

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